accueil | |
Textes écrits à l'occasion de l'exposition La dynamique des paysages, présentée en Novembre 2008 à la Galerie Le Bleu du Ciel à Lyon, puis à l'Ecole Supérieure d'Architecture de Saint Etienne en Avril 2009. La Dynamique des Paysages La photographie est par sa nature un médium efficace pour documenter l'état du monde et son évolution. En imposant un point de vue fixe et unique, elle a le pouvoir de synthétiser en son cadre une multitude d'informations tout en produisant une représentation formelle et sensible du monde. Entre art et document. L'observatoire photographique du paysage s'inscrit dans la longue tradition de la commande photographique, commencée dès 1851 par la Mission Héliographique. Cette tradition s'est poursuivie par la commande de la Farm Security Administration (FSA) entre 1935 et 1942 qui documenta la vie rurale des Etats-Unis touchés par la Grande Dépression, en France entre 1983 et 1988 la DATAR permit à des photographes de créer de nouvelles représentations du territoire. Dans le principe de l'observatoire, le photographe écoute certes les doléances du commanditaire (géographique, sociologique, patrimoniale, technique...) mais il reste un artiste et envisage donc ces paysages en terme esthétique au regard de ses engagements artistiques personnels. C'est là que se situe toute la difficulté et l'intérêt d'un observatoire : la traduction de problématiques techniques en images. Dans la commande, mais encore plus dans le cadre d'un observatoire, il s'agit donc de produire un objet esthétique capable à la fois de prendre sa place en tant qu'œuvre d'art, mais surtout de faire sens dans d'autres domaines (historique, sociologique, géographique...). Le but étant que l'ensemble des acteurs du paysage (du technicien d'aménagement au touriste, de l'élu à l'habitant, de l'agriculteur à l'industriel), puissent lire ces images et y réfléchir. Nous avons abordé le territoire du PNR des monts d'Ardèche avec cette mission, produire une œuvre autant pédagogique qu'esthétique. A l'heure de la construction de l'itinéraire, nous avions comme bagage notre disponibilité et nos influences. En premier lieu, une influence américaine des paysagistes coloristes des années 70 et leur amour des paysages animés et des espaces vernaculaires. Puis une influence paysagiste "à la française" dans la volonté de faire paysage de tout, mais surtout des entre-deux, non-lieux et autres tiers paysages. Et enfin, une influence des artistes du Land Art qui après être intervenu directement sur le paysage le photographiaient. Les documents produits devenaient alors oeuvre à part entière. Notre démarche a été, au delà du relevé topographique, d’établir un état des lieux du PNR des Monts d'Ardèche reconduit de saison en saison, d’année en année. Nous avons chercher nos points de vues par une démarche systématique (en arpentant un maximum de routes et chemins du Parc), aléatoire et empirique (le choix des lieux à arpenter par l’un ou l’autre se décidait le jour même en fonction des expériences de la veille). Nous nous sommes alors attaché à rendre compte de la diversité et de la richesse des paysages et à les ériger en sculpture ou installation réalisées par la main de l’homme, la nature ou celle plus diffuse de l’écoulement du temps. Nous avons peu à peu pris la mesure de l'épaisseur des paysages comme s'il s’agissait de couches de sédiments superposés. Les multiples temporalités rencontrées à travers les paysages parcourus nous ont conduit à faire une sorte d'archéologie prospective du paysage. De lieux supposés à forts potentiels de mouvements à d’autres vraisemblablement figés, nous avons cherché à décliner à travers nos photographies, et leurs reconductions à venir, les différentes potentialités d’un même paysage. Envisager une telle perception, ce n'est ni plus ni moins que proposer une vision originale d'un paysage qui serait un objet esthétique, une sculpture, une intention en devenir perpétuel. C'est un jeu intellectuel qui débouche sur une vision dynamique du paysage. Bertrand Stofleth, Geoffroy Mathieu / septembre 2008 L'émotion existentielle du paysage Parfois, l’on aimerait que rien ne bouge. Que rien ne change. En tel lieu que l’on connaît depuis l’enfance, dans telle vallée qui nous a vu grandir, - les traces perceptibles de l’évolution de notre cadre de vie semblent défigurer l’image établie d’un paysage qui nous semblait éternel. Une maison neuve, une forêt nouvellement exploitée, l’arrivée d’une route, d’une ligne électrique ou la progression de la friche sur un versant autrefois cultivé, sont autant de cicatrices venant ternir l’éclat d’un lieu que nous avons connu autre. D’un lieu qui est le nôtre parce qu’il existe dans notre mémoire autant que dans la réalité, d’un lieu qui appartient à notre paysage intime. Ainsi, et c’est souvent le cas, nous vivons l’évolution du monde comme une perte, comme une forme d’atteinte à un patrimoine initial hérité d’un premier regard, d’une contemplation originelle qui nous aurait vu naître pour la première fois en un lieu. D’une contemplation originelle qui aurait vu pour la première fois un paysage devenir nôtre. De cette sensation première, la pensée nous débarrasse : l’immobile n’est pas la vie et ce qui nous entoure est d’abord un grand morceau de vie, un assemblage de choses animées par la nature ou par les hommes, reflet d’un mouvement immuable bien qu’incompréhensible Le paysage a cela de joli qu’il parle de la vie. Parce qu’il est mouvement, parce qu’il est changement, il nous parle du temps qui passe, de la puissance créative de la nature et de l’inventivité de l’homme. Le paysage, parce qu’il est vivant, s’inscrit forcément dans le mouvement. D’où nous vient alors ce besoin d’observer ? D’un besoin illusoire de se rassurer face au temps qui passe ? (non, ce qui m’entoure est immobile, il est bien tel que je le connais) Ou inversement, de cette nécessité vitale de constater que la vie est bien là, juste sous nos yeux ? (oui, ce qui m’entoure bouge, ce n’est pas une nature morte dont je serais l’un des éléments). Observer un paysage, constater son mouvement, a peut-être le même effet que de se pincer pour vérifier que l’on ne rêve pas. Ainsi, observer un paysage familier nous donne la certitude que nous sommes bien au monde. *** Une peur cependant s’est immiscée dans cette certitude. Une peur qui rend cette observation du changement insuffisante à nous rassurer, venue avec la prise de conscience que l’homme, même bien intentionné, se trouve en mesure de détruire ce qui l’entoure. Cette possibilité est désormais intégrée à nos consciences. Et avec elle, l’observation ne se limite plus à constater le mouvement comme un témoignage de la vie mais tente de déceler dans ce mouvement ce qui ouvre vers d’autres futurs ou ce qui, inexorablement, ferme des horizons. Et de ce fait, au-delà des questions esthétiques, au-delà des comparaisons avec l’image initiale que nous lui connaissions, l’évolution d’un paysage nous inquiète ou nous émerveille suivant que nous sommes ou non capables de discerner dans son changement de nouvelles potentialités pour garantir la présence de la vie. La vie des hommes bien sûr mais aussi la vie tout court. Observer les paysages a donc cela d’utile de mener à percevoir si un paysage est inscrit dans une évolution ouverte ou s’il subit des changements qui limitent peu à peu ses capacités à se régénérer. Perception difficile à établir tant elle fait appel à des connaissances multiples, mais perception qui se construit en nous de façon souvent inconsciente et qu’il serait sans doute bénéfique de mieux instruire. Car il semble bien qu’être citoyen d’un pays et simultanément du Jardin Planétaire1 - amène précisément à porter un jugement sur la nature de ces évolutions et sur leur sens pour la construction de notre avenir. Martin Chenot, architecte-urbaniste Directeur de E.N.S. d’Architecture de Saint-Étienne. |